Les paillettes commencent à se décoller de ta peau, et le temps vire au gris. Oui, Cannes, c'est fini, tu es déjà de retour à Paris. Comme la moitié de la capitale, tu as le coeur en berne et de grosses cernes. La folie cannoise, une sorte de marathon pour le corps qui enchaîne soirées, projections, rendez-vous et "t'as vu qui aujourd'hui?", "quel film va gagner à ton avis ?" et les yeux qui brille quand l'hôtesse te place, pour la projection de Zodiac à deux rangs de Chloé Sevigny....
aaaah nostalgie
Tu arrives le 13 mai et tu constates amèrement que la Croisette, sans les stars, c'est moche et ça pue la pauvreté. Le tapis n'est pas encore en place, une poubelle orne ses marches. Tu vas te coucher, en te disant que ca ira mieux demain.
Le premier défi à Cannes, c'est trouver une accred' ; une sorte de sésame qui t'ouvre toutes les portes (même celles des bars). Le badge que tu as autour de cou veut dire une chose : tu es de la party. Tu possèdes tout de suite l'aura du type branché avec ton tour de cou spécial festival de cannes, et tu sens le regard envieux des badauds sur toi, tu les vois prets à bondir et t'arracher ton pass, et partir en courant, alors tu le caches, évite de l'exhiber fièrement comme tu aimerais pourtant le faire. Bref.
Mercredi : coup d'envoi. Tapis rouge à sa place, poubelles dégagées. Les gardes sécurités envahissent l'endroit "ah ce n'est plus ce que c'était, le Festival, c'est plus qu'une grosse machine inhumaine où personne ne connait plus personne".
Ca y est, Cannes est en effervescence. Elle reçoit massivement sa dose de people, de badauds, de festivaliers. Et ça y est, tu l'entends déjà dans les couloirs, ce ruminement incessant, ce questionnement cyclique, dont personne ne se lasse, car tout le monde sait bien que tout le monde est là pour ça...
"Et sinon, toi, t'en a des invits ?"
Le mot est lâché. La course peut commencer. A Cannes, tu lèches le cul de ton entourage aussi goulument qu'un Mister Freeze en plein été pour une seule et unique raison : OBTENIR DES INVITATIONS, ces grands cartons enluminés pour lesquels tu tueurai facilement père et mère.
Disponibles sous différents formats, à utilité diverse, l'invitation est une denrée ultra rare et donc au combien chic sur la Croisette. C'est l'accessoire ultime pour être snob.
Alors tu commences ta journée, avec un objectif précis, la projection de Tehilim ou la conférence de presse de Zodiac, l'open-bar de la soirée Control ou l'after party Go Go Tales. En fonction, tu choisis et tu y vas à fond. Assimiler les codes, copiner, dans le but avoué de poser l'ultime question : "t'aurais pas une invit' pour la soirée Lagerfeld ?"
Chaque jour est incertain et chaque nuit est plus folle que la précedente. Plus les jours passent, plus les invits pleuvent. Tu te retrouves dans des endroits dont la réalité même t'échappe, comme l'ICE KLUB en plein milieu du Vip Room, où tu fais du patin à glace complètement bourré, en essayant de ne pas te couper un doigt pendant que tu enlèves ces patins que tu n'es pas vraiment sûr d'avoir aux pieds.
Mais quand la chance te sourit, tu changes de niveau. Un carton dans la main, tu nargues l'armoire à l'entrée. Mondanité, alcoolisme et petits fours. Dans ta première soirée officielle, tu côtoie Fanny Ardant sans son Vincent, Fabrice Lucchini, Gilles Jacob et surtout beaucoup de champagne. Tu te sens bien dans ton rôle de parfait imposteur, apprenti gatecrasher, au milieu des autres piques assiettes.
Le matin, tu te promènes sur la Croisette qui suffoque comme la place gaveau un jour d'élection. Tu colles tes Wayfarers (l'accessoire indispensable sur les marches, CF Jude Law ou Joakim Phoenix) sur ton nez et tu te retrouves au 3.14 à écouter Fred Viktor sonner un air de SNCF au soleil, et tu t'allonges sur des coussins disco à même le sable pour écouter la belle Soko, faire du xilophone en te disant "putain qu'est ce qu'on est bien". La dolce vita de ceux qui en sont.
Une faune particulière envahit la ville : les photographes et leur appareil focal en érection, qui bande selon les allées et venues des jambes sur le tapis rouge. Aux capacités pulmonaires impressionnantes "brad brad brad brad braaad angelina angelina brad brad", ils éructent sans cesse à l'affut du moindre VIP, du cliché parfait. Et toujours, à côté de toi, la plèbe qui mendie déjà des places, des invits, des tickets, n'importe quoi qui, une minute, lui ferait croire qu'elle aussi, en est.
Une semaine déjà que tu es là, tu croirais que ça fait un mois. Le rythme cannois est intense. Des projections le matin, qui ne sont que des moments de flottements, des petites bulles où tu te sens bien, loin du brouaha et des tumultes du dehors. Et dès la sortie, tu replonges rapidement. Tu ne peux t'en empêcher. Comme ils le disent tous : c'es
Tu croises Asia Argento, qui embrasse toutes les bouches qu'elle aime (des lèvres magnifiques de Fu'ad Ait Aattou au moche photographe Voici). Tu discutes avec Clothilde Coureau qui t'annonce qu'elle est enceinte. Ton oreille apprend que Catherine Deneuve est une vrai garce sans que ça t'étonne vraiment.
Et soudain, tu n'en peux plus. L'alcool gratuit te noie sous ses bulles, tu ferais presque une overdose de gratuit. Un rythme effreiné, des orgies, des paillettes et du VIP.
Stop.
Dans la salles des Lumières, à coté de Lou, Lola et Jane, tu te rappelles soudain que tout ce beau monde est là pour une chose, la beauté du cinéma. Tu t'ébahie devant la générosité de Paranoid Park et sa bande son merveilleuse, tu souris devant les chansonnettes de l'Amour et tu pleures avec Jeon Do-Yeon dans Secret Sunshine. D'émotions en pulsions, à la remise de la Palme d'Or, tu te dis que putain, c'est beau, le Cinéma.
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